Le procureur Alvin Bragg a dévoilé mardi l’acte d’accusation contre l’ex-président américain Donald Trump, qui repose sur un fondement juridique inédit. Une démarche qui soulève quelques doutes et des questions.
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C’est une première à plus d’un titre. Donald Trump est non seulement devenu le premier ancien président américain à comparaître, mardi 4 avril, devant un tribunal pénal. Alvin Bragg, le procureur de New York qui l’accuse d’avoir "orchestré" les paiements pour étouffer des affaires extra-conjugales avant l’élection de 2016, a recours à un argument juridique qui n’a jamais été utilisé auparavant pour en faire une affaire criminelle.
Alvin Bragg "a construit l’une des affaires les plus controversées et les plus médiatisées de l'histoire américaine sur la base juridique la plus incertaine possible", déplore le site américain d’analyse de l’actualité Vox.
Délit mineur ?
Le dossier d’accusation repose sur 34 cas de falsifications de documents professionnels – "des délits mineurs au regard de la loi new-yorkaise", souligne Marc Scholl, un avocat ayant travaillé pour le bureau du procureur de New York.
Un type d’infraction qui ne va pas coûter très cher à Donald Trump. "Ces délits sont passibles au maximum d’un an de prison, et généralement, les tribunaux ne prononcent pas d’emprisonnement dans ce genre d’affaires", précise Christopher Phelps, spécialiste des États-Unis à l’université de Nottingham. "S’en prendre à un ancien président pour de simples petits délits pourrait paraître un peu faible", ajoute cet expert.
Une autre loi new-yorkaise entre alors en jeu. Elle précise que ce "simple" délit peut devenir beaucoup plus grave si "la falsification est utilisée pour couvrir un autre délit ou un crime", explique Stephen Dreyfuss, un avocat new-yorkais et ex-procureur qui a aussi été l’ancien président de l'Union internationale des avocats (UIA). Dans cette hypothèse, la loi prévoit une peine pouvant aller jusqu'à quatre ans de prison.
C’est cet objectif qu’Alvin Bragg, procureur démocrate élu à son poste en janvier 2022, veut atteindre en poursuivant Donald Trump. Et c’est cette construction en deux temps – établir la falsification, puis prouver qu’elle a servi à dissimuler une infraction plus grave – qui n’a jamais été testée auparavant dans l’histoire judiciaire américaine.
Cherchez le crime
Le problème est de savoir quelle est l'infraction que Donald Trump a voulu cacher en créant des faux documents. "Alvin Bragg n’a pas indiqué le fondement de son action dans l’acte d’accusation. Il a bien lancé quelques pistes durant la conférence de presse – la loi électorale de New York, les règles fédérales de financement des campagnes et une question fiscale –, mais c’est comme si lui-même n’avait pas encore choisi", souligne Stephen Dreyfuss.
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La piste la plus évidente concerne la loi fédérale sur le financement des campagnes électorales. Les 130 000 dollars payés par Michael Cohen, l’ex-avocat de Donald Trump, à Stormy Daniels n’ont pas été comptés comme des dépenses de campagne "alors qu’on peut soutenir qu’il a voulu étouffer une affaire qui aurait pu réduire les chances de Donald Trump de gagner l’élection", analyse Marc Scholl.
Saut que cette option est aussi la plus risquée juridiquement. D’abord, il faudra prouver que Donald Trump voulait aider sa campagne électorale en payant cette somme. "Il peut très bien dire que son intention était d’éviter que sa femme et sa famille n’apprennent l’existence de cette affaire extra-conjugale", souligne Christopher Phelps. Certes, les "preuves circonstancielles – le fait que le paiement a été fait durant la campagne et le témoignage de Michael Cohen – peuvent suffire", souligne Marc Scholl. Encore faut-il convaincre un jury.
Surtout, une question agite le petit monde juridique américain : la loi de New York permet-elle à un juge de cet État de prendre en compte une infraction à la législation fédérale ? "Il n’y a aucune règle à ce sujet dans le droit new-yorkais, et pas d’avis tranché non plus", reconnaît Marc Scholl. Autrement dit : le juge peut refuser de considérer que Donald Trump a commis un crime simplement parce que les faits ne relèvent pas de la loi new-yorkaise.
C’est probablement pour cette raison qu’Alvin Bragg a aussi invoqué la loi électorale new-yorkaise durant la conférence de presse. Cette dernière interdit d’utiliser les fonds de campagne pour influencer directement l’issue d’une élection. Mais là encore, un problème demeure : est-ce que ce texte vise un scrutin local ou bien couvre-t-il aussi la présidentielle ?
Saut dans l'inconnu juridique
D’où une troisième piste "qui pourrait être la plus prometteuse", estime Stephen Dreyfuss. Cette affaire peut, en effet, avoir aussi un volet fiscal : "Si Alvin Bragg réussit à démontrer que Donald Trump a falsifié les documents pour dissimuler la véritable raison du paiement à Michael Cohen afin de lui permettre de frauder le fisc new-yorkais, ce serait un crime", résume cet avocat. La très médiatique affaire de tromperie avec une star du X accoucherait alors d’une simple histoire de fraude fiscale.
Les hypothèses ne manquent donc pas dans cette procédure qui repose sur un fondement juridique inédit. Et c’est tout le problème que pose la démarche d’Alvin Bragg : "Le droit américain repose beaucoup plus sur la jurisprudence que le droit français, et en la matière, il n’y a pas de précédent, ce qui rend l’issue d’autant plus incertaine", résume Stephen Dreyfuss. La première affaire pénale contre un ex-président constitue un vrai saut dans l’inconnue juridique. Et qui n’est pas près de déboucher sur un verdict : "Les avocats de la défense vont en profiter pour multiplier les recours en annulation et autres, si bien que le vrai procès ne commencera peut-être pas avant un an”, anticipe Christopher Phelps. À quelques mois de la prochaine élection présidentielle à laquelle se présente Donald Trump…
Author: Kristin Vargas
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